Ils ont mis une claque au rock des sixties. À coups de synthétiseurs, les Léviathans de Berlin ont révolutionné la musique, arborant fièrement des sonorités jusqu’ici inconnues. Ils ont même fait bugger bon nombre de groupes et de critiques : il paraît que c’est comme ça que l’on change le monde.
Berlin Ouest, 1971. Du côté occidental du mur, de jeunes gens contemporains décident de casser les codes d’un rock qui tourne en rond. Quitte à choquer, quitte à déboussoler, Tangerine Dream prend alors d’assaut une planète inconnue, à l’image d’un Neil Armstrong foulant pour la première fois les cratères lunaires. Bienvenue en apesanteur, là où les synthétiseurs répondent aux instruments plus classiques, usés jusqu’à la corde par les groupes des sixties.
Morceaux minimalistes, sonorités planantes. Avec le regretté Edgar Froese aux manettes, le groupe allemand a révolutionné le monde, enclenchant, quelques mois avant leurs compatriotes Kraftwerk, un virage osé vers les contrées encore inexplorées de la musique électronique. Le futur, c’est eux. Ils l’imaginent, comme un terrain d’expression subtil, et le façonnent à la hache. Car oui, ça ne s’invente pas : Edgar Froese, avant de faire de la musique, était sculpteur. D’ailleurs, croyez-le ou non, c’est même Salvator Dali qui l’a amené, par ses peintures surréalistes, à assumer un avant-gardisme longtemps incompris par la critique.
Mais qu’importe les mots des autres, le temps a fait son œuvre. Et si arriver les premiers en terres vierges fait de vous un pionnier, il vous incombe aussi de faire face aux balles métaphoriques des défenseurs du rock traditionnel. Inventer, c’est désobéir, mais faut-il encore résister aux poids des mentalités qui évoluent différemment. C’est ce que Tangerine Dream, choisissant la liberté aux conventions, l’originalité à la facilité, a réussi à faire. Ce groupe, avec plus de cent albums au compteur, a effectivement changé les choses, et dieu sait à quel point les jeunes groupes d’aujourd’hui, sous leur frange de rock progressif et de musique électronique, lui doivent beaucoup.
Sous l’impulsion d’Edgar Froese, Berlin voit naître un groupe qui va révolutionner la modernité : Tangerine Dream. Pendant trois ans, les jeunes allemands vont sculpter leur son, encore et encore, jusqu’à atteindre un résultat planant. Ce sont les ovnis d’un monde qui bouge. Leur premier disque, Electronic Meditation, paraît sans l’accord d’Edgar Froese. Les synthétiseurs ne sont pas encore présents, mais les disputes en interne fusent déjà.
Le public ne comprend pas, la presse reste encore sur ses gardes. En intégrant des synthétiseurs et des générateurs de sons à ses compositions, Tangerine Dream laisse perplexe. On n’avait jamais vu ça auparavant. Sa musique planante est difficile à apprivoiser, mais les mois défilent, et le groupe passe, peu à peu, du statut d’intrus au statut de pionniers. Oui, ils sont d’avant-garde. Oui, ils sont en train de créer quelque chose de nouveau. En 1974, Gérard Drouot organise ses premiers évènements dans l’est de la France, notamment le concert de Nico et Tangerine Dream à la cathédrale de Reims.
Les changements de line-up sont fréquents. Tangerine Dream n’a jamais le même visage. Ses sonorités évoluent en fonction des va-et-vient. Cette fois-ci, c’est au tour de Jerome Froese, le fils d’Edgar Froese, de rejoindre l’aventure. Il s’affirme comme un grand, et l’aventure continue à un rythme effréné. Les albums s’enchaînent à grande vitesse, comme si créer devenait une urgence vitale.
« Edgar ne rêvera plus ». Ce jour de janvier, L’Express a trouvé les mots pour dire un dernier au revoir au précurseur de la musique électronique et du rock contemporain. Un livre se referme, mais sa centaine d’albums restera, à l’éternité, un panthéon pour tous les amoureux de krautrock. Pour autant, comme un hommage, mais sans arrêter de créer, Tangerine Dream poursuivra l’aventure, après quelques années de pause. Back on stage !