« Un musicien agressif qui a toujours des idées neuves ». Quand Miles Davis parlait de lui, les mots étaient toujours le fondement d’un éloge. Rien d’étonnant, finalement, car Sonny Rollins est un géant du jazz, et derrière ses notes les plus audacieuses défilent les époques.
Son souffle est au jazz ce que l’océan est à la surface du globe : un indispensable à la vie qui nous épate par son allure sublime et nous intimide par son immensité. Sonny Rollins est le dernier des géants, alors que ses copains du temps d’avant, dont John Coltran et Jackie McLean, ont rejoint le paradis des âmes sensibles. Mais lui est toujours là, saxophoniste ténor qui porte le flambeau d’une époque où Harlem avait le vent en poupe. Sa rigueur mélodique, son style de jeu caractéristique, ses solos improvisés qui nous emportent vers un au-delà : le musicien américain a passé son existence à sculpter des chefs d’œuvre qui demeurent le paroxysme de l’excellence.
Tout juste adolescent, il surprenait déjà son monde. Il bluffait Thelonious Monk, Jay Jay Johnson, Bud Powell et consorts. Bourreau de travail, Sonny Rollins avait alors mille raisons de prendre la grosse tête. Mais humble et créatif il restera. Ainsi, prenant soin de toujours opter pour des détours inattendus, l’enfant de New York, aujourd’hui à la barbe blanche et au regard teinté, a influencé des générations entières d’artistes.
Le saxophone est sa voix. Alors tant qu’il respire, il compose. La musique est l’hymne de sa vie, faisant renaître en lui, lorsqu’il entre en scène, le jeune homme virevoltant qui embrassait les foules d’hier. Seule sa peau semble avoir accepté les stigmates du temps, car intérieurement, il se moque de l’âge. À vrai dire, sa seule obsession est d’innover, encore et toujours, pour nous amener à inspirer l’air pur du jazz.
Ancien pianiste, Sonny Rollins est tombé amoureux du saxophone. À l’aube de son adolescence, il étonne déjà le clan des adultes. Theolonious Monk décide alors de le prendre sous son aile, allant jusqu’à lui permettre d’enregistrer ses premières compositions. Malgré quelques démêlés avec la justice, sa carrière se lance en 1953, lorsqu’il présente son premier disque, avec la présence, tenez-vous bien, de l’illustre Miles Davis au piano.
Cette année-là, Sonny Rollins multiple les disques. Mais c’est Saxophone Colossus qui va marquer les esprits. Acclamé par la critique, c’est l’un des plus beaux albums du siècle, témoigneront les amoureux de jazz. Plus tard, le disque inspirera d’ailleurs de nombreux artistes à travers le monde, dont Claude Nougaro, qui reprendra l’excellent titre St.Thomas.
C’est un tournant dans sa carrière. Avec le disque The Bridge, Sonny Rollins s’aventure sur les terres du free-jazz. Car après un an d’interruption et une belle remise en question, le musicien new-yorkais cherche à apporter un souffle nouveau à sa musique, comme en quête permanente de l’inatteignable perfection.
C’est une collaboration qui a donné du grain à moudre à tous les puristes du jazz. Mais Sonny Rollins s’en moque un peu : il voulait tenter quelque chose de nouveau. Alors quand les Rolling Stones lui proposent d’enregistrer trois chansons sur l’album Tatto You, c’est un grand oui. « Ils m’ont contacté, je ne savais pas grand-chose d’eux, dira-t-il plus tard. Je connaissais leur nom bien sûr, comme celui des Beatles, mais sans être au fait de ce qu'ils jouaient. Aussi, ai-je vécu cette collaboration éventuelle comme une expérience ponctuelle ».
Après avoir glané plusieurs Grammy Awards au début du millénaire, Sonny Rollins décide de fêter comme il se doit ses 50 ans de carrière. Il propose alors une magnifique représentation au Carnegie Hall, à New York, comme pour se remémorer un temps qui semble aujourd’hui révolu. C’est la preuve que sa longévité est exceptionnelle : qui d’autre peut en dire autant ?