A 17 ans, la jeune Michelle choisit un nom qui sonne comme un slogan. Ce sera Ndegeocello, « libre comme un oiseau » en langue swahili. A partir de là, elle n’aura de cesse de faire entendre sa voix, sa sensibilité, sa vision du monde. Et peu importe si cela transgresse. Peu importe si elle en perd sa maison de disque, ses fans ou ses amours. Parce que Meshell Ndegeocello est entière, authentique, un diamant brut qui trace sa route sans se retourner.
Et de concessions, elle n’en fera aucune. Pas sur la forme car la chanteuse, tombée petite dans la soul et bassiste de formation, s’autorise toutes les expérimentations. Des très sombres et introspectifs albums Bitter et Weather à l’attitude de rock star quand elle reprend Wild Night avec John Mellencamp. En passant par l’indéfinissable The World Has Made Me The Man Of My Dream, mélange extrême entre le jazz et le rock, entre vagabondages planants et salves volcaniques.
Pas sur le fond non plus, car Meshell Ndegeocello sait qui elle est et s’affirme. Femme, noire, bisexuelle et musulmane. Avec une identité qui lui vaut toutes les critiques dans l’Amérique des années 90, plus rien ne lui fait peur. Ses chansons abordent des thèmes crus et sans détour : le racisme systémique, la solitude urbaine, et, avec sarcasme, les relations amoureuses et leur éthique. Et quand sa maison de disque censure la pochette de l’album, où elle apparaît légèrement voilée au lendemain des attentats du 11 septembre, elle met fin à une collaboration de plus de 10 ans.
Elle est comme ça Meshell, rebelle, les deux pieds bien ancrés sur terre et la tête dans un futur meilleur. Elle ne choisit pas entre art et convictions, elle mélange les deux dans un tourbillon et dans une rage sensible. Et quand on jette un regard en arrière, on ne peut que s’incliner devant le chemin qu’elle a tracé à la force de son talent.
La jeune artiste signe sur le label Maverick, fondé par Madonna et sort Plantation Lullabies qui cache sous son apparence entraînante des thèmes engagés et revendicatifs. L’artiste, déjà, ne fait pas de concession et enfonce le clou avec Peace Beyond Passion, trois ans plus tard. Un deuxième album qui confirme son succès et lui vaut la reconnaissance de ses pairs. D’Alanis Morrissette aux Rolling Stones, les demandes de collaborations s’enchaînent !
La popularité ne dévie pas Meshell Ndegeocello de sa ligne de conduite. Intègre avant tout, elle livre en 1999 un nouvel album déchirant, sombre et teinté d’un folk mélancolique. Bitter est le fruit d’une rupture sentimentale que l’on imagine douloureuse. L’artiste ne cache rien et nous emmène avec elle dans les méandres d’une âme torturée par l’Amour. Si la chanteuse touche le fond, les ventes, une nouvelle fois, décollent.
Libérée de sa maison de disque et de ses obligations de réussite, la chanteuse profite pleinement de sa liberté et sort coup sur coup deux albums plus expérimentaux. Elle y explore les facettes du jazz avec singularité, voire même sarcasme. Et perd une partie de son public en route ! Mais au fond, elle s’en fiche. Ce qui compte, c’est de faire ce dont elle a envie, ce qui lui colle aux tripes. Et ce n’est qu’en 2010 qu’elle signera de nouveau avec le label Naïve pour deux albums plus facilement abordables par le grand public.
C’est un album à part que sort Meshell avec Ventriloquism. De retour dans la maison familiale pour gérer les affaires de son père décédé, elle se plonge dans ses souvenirs de jeunesse et accouche d’un album de reprises des tubes hip-hop et RnB qui ont bercé son enfance. Tender Love se transforme en ballade folk quand l’artiste affirme encore une fois ses valeurs sur Sensitivity, clamant haut, fort et sans langueur « You need a man with sensitivity, a man like me ».