Le monstrueux Lou Reed a réussi à réinventer le rock à coup de textes à la noirceur aussi profonde que les bas-fonds de New York et d’attitudes provocatrices à la limite de l’insubordination. D’Andy Warhol à David Bowie, il a tapé dans l’œil des plus grands et si son talent n’a pas toujours été reconnu immédiatement, il est aujourd’hui l’une des figures qui écrit encore l’histoire du rock.
Car Lou Reed est un génie à l’avant-garde et qu’importe si ses albums ne rencontrent pas le succès populaire dès leurs sorties. Ses textes redéfinissent l’essence même du rock et l’élève au rang d’art contemporain là où certains le voyaient encore comme un genre tout juste bon à divertir les foules. Poésie crasse, écriture collée aux viscères, il explore sans relâche les facettes les plus sombres de l’humanité, celles qu’il touche du doigt et dans lesquelles il sombre parfois complètement. Addictions, désespoir, marginalité, sexualité, aucun tabou n’est assez puissant pour l’empêcher de dépeindre l’existence obscure des laissés pour compte de ce monde.
Provocateur dans les textes, il érige aussi l’insoumission comme mode de vie. Certains de ses concerts virent à l’émeute en bonne et due forme quand il fait croire qu’il se shoote au beau milieu de la scène. Et les journalistes de tous bords venus interroger le phénomène peuvent trembler. Intransigeant avec la presse, il n’est pas rare qu’ils repartent sous les insultes d’un Lou Reed à la limite de la névrose.
Mais de Lou Reed, il y en a plusieurs et le jeune chien fou des années 60 et 70 cèdera la place dans les décennies suivantes à un artiste plus apaisé, plus introspectif. Jusqu’à devenir, à la fin de sa carrière, un rockeur à la limite de l’intellectuel dont on écoute la sagesse. Mais toutes ces versions de l’artiste ont finalement été rattrapées par son passé sulfureux et en 2013, c’est un autre génie qui quitte ce monde.
Peu de chanteurs peuvent se targuer d’avoir été repérés par le maître du pop-art Andy Warhol. Il faut croire qu’entre artistes décadents, la connexion est instantanée puisque The Velvet Underground, le groupe fondé par Lou Reed, décide de se produire à la célèbre Factory, à l’époque fréquentée par un public composé d’artistes et de marginaux. En 1967, Warhol finance leur premier album The Velvet Underground and Nico. Un échec commercial qui deviendra quelques années plus tard un succès retentissant, le titre Heroin, autoportrait d’un junkie, étant érigé au rang de classique du rock.
« J’ai viré Warhol » lançait avec insolence Lou Reed en arrachant l’indépendance de The Velvet Underground. Elle sera aussi marquante que courte puisque le groupe se sépare en 1971. Pour Lou Reed, c’est retour à la case départ, direction la maison parentale. Mais c’était sans compter sur un autre génie, David Bowie, séduit par le succès pourtant très confidentiel du chanteur. Lou Reed se lance alors dans une carrière solo. Son premier album, Transformer et le single mondialement connu qui l’accompagne Walk on the Wild Side, aux paroles sulfureuses, marque l’histoire et le propulse directement au rang de rock star.
La carrière solo de Lou Reed décolle pendant les années 70 et devient plus expérimentale dans les années 1980. Mais l’événement intervient en 1990, à l’occasion de la mort de son mentor Andy Warhol. Le groupe The Velvet Underground, devenu entre-temps une légende, se reforme pour un concert inopiné à la Fondation Cartier, puis pour une tournée d’anthologie en 1993.
Moins productif dans les années 2000, celui qui semble enfin prendre une voie plus sage fait office de taulier pour le reste de la scène rock. Il collabore avec plusieurs artistes dont Gorillaz et Metallica avec qui il enregistre l’album Lulu en 2011. Ses concerts aux Vieilles Charrues et aux Nuits de Fourvière seront son dernier tour de piste. En 2013, il est rattrapé par ses démons et emporté par un cancer du foie.