Dans la vingtaine, sa gueule d’ange lui a valu le statut d’icône rock et romantique, adulé par une génération de groupies. Et si ses cheveux ont désormais une jolie teinte grise, Jackson Browne n’a rien perdu de son charme. Mais ce serait une erreur monumentale de le résumer à cela.
Car ce qui brille chez lui, c’est d’abord son talent sans égal pour l’écriture. Depuis qu’il a 16 ans, sa plume danse sur le papier, produisant des tubes à foison pour certains des plus grands artistes de la planète parmi lesquels la charismatique Nico ou ses amis de toujours du groupe The Eagles. Il est rare de voir autant de doutes et de questions existentielles chez un artiste aussi jeune. Et pourtant, en magicien des mots et des émotions, Jackson Browne couche depuis toujours sur ses feuilles blanches les réflexions d’une âme rebelle et torturée qui semble avoir déjà la maturité du vieil homme qu’il est devenu.
Il prendra le temps de poser sa voix claire et puissante avant d’interpréter lui-même ses compositions, reconnaissant qu’au début de sa carrière il « ne chantait pas très bien ». Ses premiers titres sont de petits bijoux introspectifs sur fond de musique rock piquée de folk, comme seule la West Coast sait en produire.
Mais le jeune chanteur prend très rapidement un tournant engagé. Il se met à raconter l’Amérique qu’il rencontre quand il est sur les routes. Celle qui manifeste contre la guerre du Vietnam, celle, désillusionnée, qui ne croit plus aux rêves vendus par les médias, celle qui préfère se tourner vers des valeurs humaines plutôt que d’entrer dans le cycle de la consommation à outrance. Dans les années 80, il signera des pamphlets très engagés contre le président Reagan, le nucléaire puis contre la dynastie Bush. Pas de doute, quand on lui demande d’exprimer ses convictions, Jackson Browne a la guitare à la main et la rage au cœur. Mais ceux qui le connaissent bien savent que derrière ce protest-singer se cache un homme généreux et plus sincère que jamais.
Âgé de 16 ans, Jackson Browne écrit These Days, une chanson toute en nostalgie et en attente. De celle qu’un vieux routard aurait pu écrire. Il faudra attendre six ans pour que le songwriter en devenir ne l’interprète lui-même sur For Everyman. Dans ce laps de temps, le texte sera passé entre les mains d’artistes comme Nico, Tom Rush ou Gregg, contribuant à la notoriété du jeune homme.
Finalement assez sûr de lui pour se lancer, le premier album du rockeur aux accents folk sort en 1972. Mais pour lui, l’année est surtout marquée par le tube Take It Easy, écrit pour les cowboys de Los Angeles, The Eagles. En 1974, il sort le très bon Late For the Sky qui lui apporte enfin la reconnaissance du public. Son ami de toujours, Bruce Springsteen en dira : « aucun album des années 70 n’a su aussi bien saisir la désillusion, la déception et le chagrin de l’Amérique post-Vietnam ». Mais son plus grand succès commercial reste Running on Empty (1977) dont le titre, Rosie, sera repris une décennie plus tard par un certain Francis Cabrel.
Si les textes de Jackson Browne sont de plus en plus revendicatifs à mesure qu’il avance en âge, les années 80 marqueront un tournant. Il en sortira en artiste engagé et en activiste passionné, notamment avec les albums Lawyers in Love (1983) et Lives in the Balance (1986) qui critique ouvertement la politique de Reagan. Dans les années 90 et 2000, l’artiste sera peut-être moins productif sur la scène musicale mais n’aura de cesse de s’investir dans des causes humanitaires ou pour la sauvegarde de l’environnement.
Désormais d’âge mûr, le chanteur revient en force avec Standing in the Breach, un album dont les sonorités ont longtemps manqué au milieu du rock. Folk-rock tirant sur la country, son album a l’élégance discrète des hymnes protestantes qu’il servait dans sa jeunesse. Et même s’il sait pertinemment que ses idéaux pourraient ne jamais se concrétiser, il est assez sage pour savoir qu’imaginer un monde où les connexions humaines et l’amour l’emporteraient sur le profit est déjà un pas en avant.