La partition d’Ennio Morricone est inclassable. Ce virtuose au caractère bien trempé, compositeur avant-gardiste et audacieux, a révolutionné le septième art par des orchestrations impériales et inattendues. Sa vie, ses œuvres : le plus énervé des mæstros respire pour la musique.
« Je travaillerai jusqu’à la mort, et après, je me reposerai ». Il était comme ça, Ennio Morricone. Explorateur insatiable de nouveaux territoires, le Mæstro écrit sa vie au rythme effréné de ses compositions. Avec lui, les images prennent une autre dimension, extériorisant avec finesse des émotions insoupçonnées. Le rythme cardiaque s’accélère. Les yeux se trempent. Ennio Morricone, génie prolifique et rigoureux, sait sculpter les partitions pour faire frissonner les cœurs.
Non, l’œuvre d’Ennio Morricone ne se résume pas à une histoire de cowboys à la conquête de l’ouest. D’ailleurs, inutile de le barber avec Sergio Léone ou d’oser toute référence au Western Spaghetti : vous risqueriez de vous prendre une belle envolée de bois vert à l’accent italien. Car si le Mæstro déteste tant s’attarder sur ces sujets, c’est que sa créativité aux mille nuances a complètement renversé le monde du cinéma, bien au-delà de l’incontournable Le Bon, la Brute et le Truand.
Son œuvre est inclassable, s’échappant avec force des flingues du Far West pour tutoyer le sublime et anéantir toute frontière artistique. Le roi de Trastevere, le quartier coloré de Rome, compositeur majeur de son siècle, joue ainsi de son intuition pour casser les codes avec inventivité, rigueur et abondance. Derrière ses lunettes noires, strictes comme l’homme, Ennio Morricone ne recule devant rien. Ce trompettiste de formation, qui a collaboré avec les plus grands, de Quentin Tarantino à John Carpenter, challenge sans réserve les mélodies, les rythmes et les images pour faire naître avec brio des trésors d’orchestration hors des conventions.
Tout juste marié avec Maria Travia, qui l’accompagnera tout au long de sa carrière, le jeune Ennio Morricone fait des arrangements pour la RAI. Il se tourne progressivement vers la musique de film, et se laisse tenter par quelques collaborations surprenantes, comme avec Mireille Mathieu ou Milva.
C’est sa première collaboration avec Sergio Leone, son ami d’enfance, qu’il côtoyait sur les bancs de l’école, à Rome. À cette occasion, le compositeur italien joue avec les bruits de la ville, les sons de la nature et les instruments pour donner vie à une bande originale d’une finesse absolue. C’était écrit d’avance : le film Pour une poignée de dollars, rencontre un succès fou.
C’est l’œuvre majeure de Sergio Leone, et l’un des moments-clés de la carrière d’Ennio Morricone : Le Bon, la Brute et le Truand. En créant une symbiose parfaite entre la musique et l’image, les génies du quartier de Trastevere bouleversent le monde du cinéma, avec un western à l’italienne rondement mené par l’intrépide Clint Eastwood.
Dans son style caractéristique, Terrence Malick présente son deuxième film, intitulé Les Moissons du ciel. Il fait appel à l’Italien pour imaginer l’univers musical. Là encore, la composition d’Ennio Morricone se fait remarquer. Pour la première fois de sa carrière, le romain est nommé pour l’Oscar de la meilleure musique de film. Il est également lauréat des British Academy Film Awards.
C’est une récompense prisée dans le milieu du cinéma : pour Ennio Morricone, la troisième nomination sera la bonne. Le compositeur italien obtient un Golden Globes Award pour la musique du film Mission, du réalisateur Roland Joffré. L’année suivante, il obtiendra un Grammy Award pour sa participation au film Les Incorruptibles de Brian De Palma.
Il existe de grandes récompenses pour remercier de grands artistes. Cette année-là, Ennio Morricone obtient un Oscar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière. Cette distinction démontre, une fois de plus, à quel point le compositeur italien a changé en profondeur le monde du cinéma.
Il aura fallu attendre près de quarante ans entre sa première nomination et sa première réelle distinction aux Oscars. C’est fait : Ennio Morricone marque définitivement l’Histoire du cinéma, avec l’Oscar de la meilleure musique de film, à l’occasion du film Les Huit Salopards de Quentin Tarantino. « Il n’existe pas de grande musique sans grand film », déclarera-t-il, avec humilité.
A 90 ans, le chef d’orchestre investit une dernière fois Bercy pour un concert d’anthologie. Deux heures aux côtés de l’Orchestre Symphonique National Tchèque pour faire frissonner un public acquis avec quelques-uns de ses plus grands succès. Ce maître incontesté aura effectivement travaillé jusqu’à sa mort puisqu’il s’éteindra le 6 juillet 2020, laissant le monde du cinéma orphelin de l’un de ses plus grands artistes.